Comment continuer à voyager dans un monde en crise climatique

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L’éco-anxiété et le droit à l’ailleurs

Un billet de train, un sac à dos, un billet d’avion, une valise à roulettes. Voyager, c’est franchir une frontière physique, mais aussi intime : celle qui nous sépare du quotidien. Depuis des millénaires, les humains bougent, migrent, explorent. Voyager, c’est découvrir l’inconnu, c’est accepter de se perdre, c’est aussi se transformer. Pourtant, dans le monde que nous vivons, ce geste ancien devient un dilemme. Comment continuer à chercher l’ailleurs quand chaque déplacement semble porter en lui une empreinte carbone lourde de conséquences ? L’éco-anxiété s’installe, insidieuse, et le désir de partir se charge d’une culpabilité nouvelle. Bienvenue, dans une réflexion SUPERCRITIC dans l’univers du voyage éco-responsable..

Voyager, une pulsion universelle

Le voyage n’est pas un luxe contemporain. Les pèlerinages, les routes commerciales, les odyssées ont façonné notre humanité. Voyager, c’est apprendre en se déplaçant, c’est l’expérience de l’altérité. Aujourd’hui encore, ce désir reste intact. Aller voir ailleurs si nous y sommes, éprouver l’inconnu, élargir notre imaginaire. Mais notre époque a radicalement transformé ce rapport. Le voyage est devenu un produit de consommation, compressé en « city break » ou en croisières standardisées. Partir loin, vite et souvent. Les compagnies low cost ont démocratisé l’avion, ce qui est une aubaine pour l’accessibilité, mais un désastre pour la planète. Là où hier l’aventure impliquait des semaines de traversée, aujourd’hui un aller-retour Paris–Barcelone se fait en deux jours, à prix dérisoire. Cette accélération a fragilisé le sens même du voyage.

Le poids écologique de la mobilité

Effectivement, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Un aller-retour Paris–New York en avion représente environ 1 tonne de CO₂ par passager, soit près de la moitié du budget carbone annuel par personne si l’on veut rester sous la barre des 2°C de réchauffement. Le secteur du tourisme, dans son ensemble, pèse 8 à 10 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Et au-delà du CO₂, il y a aussi l’impact local. Par exemple, on peut citer la construction d’hôtels sur des zones fragiles ou encore la pression sur l’eau douce. Mais également, il faut noter la gentrification des quartiers centraux ou la dégradation des paysages par le surtourisme. Venise, Barcelone, Dubrovnik : autant de villes où les habitants voient leur quotidien transformé par des flux qu’ils ne contrôlent plus.

Face à ce constat, beaucoup de jeunes voyageurs ressentent une contradiction intérieure. Voyager pour s’ouvrir au monde, oui, mais à quel prix ? L’éco-anxiété, ce mélange d’angoisse et d’impuissance face à la crise climatique, colore désormais la simple idée de prendre un billet d’avion.

Changer le récit du voyage pour un voyage éco-responsable

Et si le problème n’était pas le voyage en soi, mais le récit qui l’accompagne ? Pendant des décennies, voyager signifiait « aller loin » et « aller vite ». Mais l’ailleurs n’est pas forcément à des milliers de kilomètres. Il peut se trouver à portée de train, à la vitesse de la marche, dans un territoire voisin ou même dans une expérience intérieure.

Plusieurs mouvements émergent déjà :

  • Le slow travel : il valorise le temps long et le trajet comme partie intégrante de l’expérience. Ainsi, traverser l’Europe en train de nuit ou encore descendre un fleuve à vélo deviennent des voyages en soi.
  • Les micro-aventures : elles consistent à explorer l’extraordinaire dans le quotidien. En outre, on pense à une nuit à la belle étoile à 20 km de chez soi, ou bien à une randonnée improvisée le long d’une voie ferrée désaffectée.
  • Les voyages solidaires et régénératifs, où la présence du voyageur contribue à la protection d’un territoire ou au partage d’un savoir-faire (woofing, chantiers participatifs, coopératives locales).
  • Les voyages intérieurs, spirituels, créatifs ou sensoriels : explorer ses propres paysages mentaux, par le rêve, l’art, ou même les technologies immersives.

Changer le récit, c’est sortir du tourisme de consommation pour retrouver le voyage comme geste de transformation.

Voyager autrement, les pistes concrètes

En fait, une fois cela dit, il semble intéressant de trouver des exemples concrets. En quelques sortes, de réfléchir sur la notion de voyage écoresponsable.

  • Privilégier le train : en Europe, les réseaux ferroviaires offrent de nombreuses alternatives à l’avion. Le site The Man in Seat 61 recense les trajets possibles pour rejoindre presque n’importe quelle ville du continent sans prendre l’avion.
  • Réhabiliter le temps du voyage : là, on décide de choisir la lenteur comme richesse. Une traversée en voilier, un trajet à vélo ou à pied offrent une intensité d’expérience incomparable.
  • Soutenir l’écotourisme local : certains villages, parcs naturels ou communautés inventent un tourisme régénératif, où l’argent dépensé sert à protéger la biodiversité et à valoriser les cultures locales. Nous sommes complètement dans l’idée de tourisme et de voyage éco-responsable.
  • Explorer près de chez soi : comme la pandémie nous l’a appris, l’exotisme peut se trouver au coin de la rue, dans une forêt voisine ou sur un littoral familier. Le voyage n’est pas seulement géographique, il est aussi perceptif.
  • Inventer de nouvelles cartes : certains artistes créent des atlas imaginaires, des récits qui transforment notre perception des territoires. Voyager, c’est aussi se laisser guider par une nouvelle narration.

Le voyage éco-responsable pour réconcilier désir et responsabilité

Alors, peut-on encore voyager ? Oui, mais différemment. Le droit à l’ailleurs n’a pas à disparaître, il doit se réinventer. L’éco-anxiété, loin d’être un frein, peut devenir une boussole. Elle nous rappelle avec conscience que nos choix ne sont pas neutres, mais qu’ils ouvrent ou ferment des possibles.

Voyager demain ne sera peut-être plus accumuler des destinations « à cocher », mais vivre des expériences profondes, lentes, transformatrices et constructrices. Un voyage moins souvent, mais plus longtemps. Moins loin, mais plus intensément. Plus lentement, mais plus profondément.

L’ailleurs dont nous avons besoin n’est pas forcément de l’autre côté du globe. Il est partout où nous acceptons de nous décentrer, de changer de rythme, de regard et de récit.

Espérons que le voyage du futur ressemblera davantage à une métamorphose qu’à une fuite. Parce qu’en fin de compte, le plus grand voyage est celui qui nous permet de voir notre monde autrement pour mieux le protéger, et mieux l’habiter.

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