L’horlogerie de luxe, longtemps bastion d’un artisanat figé dans la tradition, vit aujourd’hui une mutation silencieuse mais profonde. Face à la pression environnementale, certaines maisons suisses réinventent leurs pratiques, intégrant de nouveaux matériaux, repensant leur chaîne de valeur, tout en restant fidèles à un héritage d’excellence. Entre conservation du geste et innovations durables, une nouvelle génération de garde-temps vient troubler le cadran du temps.
Des montres qui interrogent le temps… et leur époque
Jusqu’à récemment, l’idée d’associer horlogerie et écologie relevait presque du blasphème : comment concilier rareté, complication mécanique et conscience environnementale ? Pourtant, à l’ombre des grands salons, plusieurs marques ont commencé à bousculer les codes. Certaines misent sur des métaux recyclés (acier, or, titane), d’autres sur des bracelets en matériaux biosourcés ou upcyclés (algues, champignons, filets de pêche recyclés).
Panerai a frappé un grand coup avec sa Submersible eLAB-ID, présentée comme la montre la plus écologique jamais produite par une grande maison, composée à 98,6 % de matériaux recyclés. Le boîtier est en EcoTitanium, les aiguilles et le cadran proviennent de déchets de production, et même le Super-LumiNova utilisé pour les index est issu de rebuts de laboratoire.
Chez IWC, l’Eco Strap en papier recyclé, ou les boîtiers en ceratanium (alliage maison à faible impact), témoignent d’un engagement constant. Chopard, quant à elle, a été pionnière dès 2013 avec l’usage d’or éthique certifié Fairmined pour ses collections L.U.C. La marque genevoise collabore avec des mines responsables d’Amérique du Sud et milite pour une traçabilité totale de ses métaux précieux.
Matériaux responsables et design durable
Cette transition ne concerne pas que les matériaux, mais aussi le design lui-même. La longévité, autrefois vue comme un prérequis tacite de la montre mécanique, est aujourd’hui revendiquée comme une valeur écologique. Concevoir un objet pensé pour durer plusieurs générations, réparable, transmissible, devient un geste durable en soi.
Certaines maisons misent sur la réinterprétation de modèles historiques, évitant ainsi le développement de nouvelles pièces tout en capitalisant sur leur patrimoine : la Longines Heritage Classic, la Jaeger-LeCoultre Reverso Tribute ou encore les Omega Speedmaster rééditées sont autant d’exemples de cette stratégie de durabilité patrimoniale.
On observe aussi une montée en puissance des projets de « circularité horlogère ». La start-up ID Genève propose ainsi des montres conçues intégralement à partir de composants recyclés, dans une logique d’économie circulaire : les boîtiers sont en acier revalorisé, les bracelets en déchets végétaux, les calibres anciens sont reconditionnés. Un luxe post-industriel, ancré dans une conscience éthique.
Vers une nouvelle définition du luxe
Loin des effets de mode, la révolution verte de l’horlogerie s’inscrit dans le temps long. Elle implique une transparence accrue sur la provenance des matériaux, un contrôle plus fin de l’empreinte carbone, mais aussi une redéfinition du luxe lui-même : non plus démonstratif, mais responsable. L’écoresponsabilité devient un nouveau critère d’exclusivité.
Certaines marques intègrent ces exigences dès la conception, comme Baume (sous-marque de Baume & Mercier), qui propose des modèles au design minimaliste et personnalisable, fabriqués à la demande pour éviter toute surproduction. Les montres sont livrées dans des étuis recyclables et conçues pour être facilement démontées.
La haute horlogerie durable redessine ainsi ses frontières : moins d’ostentation, plus de sens. Elle s’adresse à une nouvelle clientèle — jeune, éduquée, sensible aux enjeux climatiques — qui ne cherche plus seulement à porter un symbole de pouvoir, mais à affirmer une forme d’élégance engagée.
Entre héritage et disruption, la haute horlogerie entame un mouvement de fond. Loin d’être incompatible avec l’exigence ou la beauté, la durabilité s’impose comme une nouvelle frontière créative. Reste à savoir si elle deviendra la norme ou restera l’apanage de quelques maisons pionnières. Mais une chose est sûre : dans l’univers du luxe, même les secondes comptent — et elles comptent désormais aussi pour la planète.