Pourquoi les lobbys fossiles ont encore un coup d’avance ?

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À chaque conférence sur le climat, chaque rapport du GIEC, chaque promesse politique d’un avenir plus vert, une question revient : pourquoi si peu de résultats concrets ? Pourquoi l’action climatique reste-t-elle si lente, si inégale, si vulnérable aux retours en arrière ? Une partie de la réponse tient dans un acteur omniprésent mais souvent dissimulé : le lobby fossile. Bien que largement discréditée sur le plan scientifique, l’industrie pétrolière et gazière conserve une longueur d’avance stratégique. Comment expliquer cette résilience ?

Des moyens colossaux, une stratégie éprouvée Les majors du pétrole (ExxonMobil, Shell, Chevron, TotalEnergies…) investissent des sommes astronomiques dans la communication, les relations publiques et l’influence politique. Rien qu’aux États-Unis, les dépenses de lobbying de l’industrie fossile dépassent régulièrement le milliard de dollars annuel. Ces entreprises ont compris que pour survivre, il ne fallait pas seulement extraire du pétrole — il fallait aussi extraire du pouvoir.

Leur stratégie repose sur trois piliers :

  • L’influence réglementaire, via des armées de lobbyistes dans les institutions nationales et internationales, capables d’amender, ralentir ou tuer des lois climatiques.
  • Le greenwashing narratif, qui consiste à investir dans des campagnes vantant une « transition énergétique » pilotée par les fossiles eux-mêmes (gaz « naturel », captage de carbone, etc.).
  • L’entrisme institutionnel, par le financement de think tanks, de partis politiques, de fondations universitaires, mais aussi par la présence directe d’anciens dirigeants pétroliers dans les hautes sphères de décision publique.

La porosité des institutions Le paradoxe est saisissant : alors même que les scientifiques alertent sur la nécessité de sortir des énergies fossiles, les grands sommets climatiques sont parfois sponsorisés par les majors, et les délégations pétrolières y sont plus nombreuses que celles des ONG environnementales. Lors de la COP28 à Dubaï, plus de 600 lobbyistes fossiles étaient accrédités.

Cette présence systématique permet de peser sur les formulations finales des textes, de bloquer les ambitions les plus radicales, et de maintenir une « transition » qui n’est souvent qu’un prolongement du statu quo sous des habits neufs. La dépendance des États au pétrole (pour leurs recettes, leur stabilité économique ou leur géopolitique) rend le système lui-même perméable à cette influence.

L’art de redéfinir le problème L’un des coups de maître des lobbys fossiles est d’avoir réussi à reformuler le débat climatique. On ne parle plus de « sortie des fossiles », mais de « neutralité carbone ». On ne s’attaque plus directement aux causes, mais aux effets (via la compensation, le captage ou la régulation des émissions). En redéfinissant les termes du débat, ils évitent les transformations structurelles.

Par exemple, la captation et le stockage du carbone (CCS), solution technologique encore marginale, est souvent brandie comme une réponse miracle — alors qu’elle permet surtout de justifier la poursuite de l’exploitation fossile.

Résister à l’influence : quelle contre-stratégie ? Face à cette emprise, les mouvements climatiques, les scientifiques et certains gouvernements explorent plusieurs pistes :

  • Interdire la présence des entreprises fossiles dans les négociations internationales sur le climat (comme cela a été fait pour l’industrie du tabac à l’OMS).
  • Renforcer la transparence sur les financements politiques, les liens d’intérêts et les stratégies de désinformation.
  • Promouvoir des institutions indépendantes capables d’auditer les politiques publiques sous l’angle de leur exposition à l’influence des lobbys.
  • Investir massivement dans une culture écologique qui rende le récit fossile obsolète.

Les lobbys fossiles ne survivent pas grâce à leur force, mais grâce à notre faiblesse collective à organiser une résistance systémique. Ils exploitent les interstices de nos démocraties, les dépendances de nos économies, les inerties de nos récits. Pour leur faire perdre leur coup d’avance, il faut non seulement exposer leurs stratégies, mais reconstruire un imaginaire de sortie. Un imaginaire où le pouvoir ne serait plus entre les mains de ceux qui exploitent la Terre — mais de ceux qui la protègent.

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